L'impératif catégorique : troisième formulation, Kant - Quatre exemples

Modifié par Estelledurand

Dans la suite du Fondement de la métaphysique des mœurs (p. 151-153) Kant réinterprète, à la lumière de la troisième formulation de l'impératif catégorique, les quatre exemples qu'il avait analysés en relation avec les deux premières formulations : le désespéré, l'emprunteur indélicat, l'oisif et l'indifférent au sort d'autrui.

Lisez les extraits suivants et répondez aux questions.


Extrait 1 :

En premier lieu, selon le concept du devoir nécessaire envers soi-même, celui qui médite le suicide se demandera si son action peut s'accorder avec l'idée de l'humanité comme fin en soi. Si, pour échapper à une situation pénible, il se détruit lui-même, il se sert d'une personne, uniquement comme d'un moyen destiné à maintenir une situation supportable jusqu'à la fin de sa vie. Mais l'homme n'est pas une chose ; il n'est pas par conséquent un objet qui puisse être traité simplement comme un moyen ; mais il doit dans toutes ses actions être toujours considéré comme une fin en soi. Ainsi je ne puis disposer en rien de l'homme en ma personne, soit pour le mutiler, soit pour l'endommager, soit pour le tuer. (Il faut que je néglige ici de déterminer de plus près ce principe, comme il le faudrait pour éviter toute méprise, dans le cas où, par exemple, il s'agit de me laisser amputer les membres pour me sauver, de risquer ma vie pour la conserver ; cette détermination appartient à la morale proprement dite).

Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 151.


Questions :

1. Dans le texte, le désespéré se rapporte à la possibilité du suicide comme à une question qu'il se pose : en quoi cela est-il représentatif de la méthode à suivre pour faire usage de l'impératif catégorique dans nos décisions morales, telle que Kant la pratique et la préconise ?

2. En quoi, selon Kant, le fait de mettre volontairement fin à ses jours consiste-t-il à "se ser[vir] d'une personne, uniquement comme d'un moyen" ?

3. Quelle objection Kant formule-t-il, d'après l'impératif catégorique, pour montrer que le suicide est une attitude immorale ? Reconstituez son raisonnement.

4. À la fin du paragraphe, Kant formule une exception, qui concerne les traitements médicaux potentiellement mutilants mais indispensables pour sauver la vie du patient.

a) Dans ces conditions précises, les atteintes portées aux corps humains consistent-elles toujours à les traiter simplement comme des moyens, ou bien peuvent-elles aussi consister à les traiter comme des fins ?

b) Dès lors, pourrait-on étendre l'argument, sur la base du raisonnement kantien à partir de l'impératif catégorique, au cas du suicide médicalement assisté dans le cas de maladie incurables fortement invalidantes, ou occasionnant des douleurs insupportables ?

c) Analysez et discutez la façon dont les concepts de respect et de dignité s'appliquent relativement à chacune des deux thèses, celle de l'indignité du suicide et celle de la revendication d'un droit de mourir dans la dignité.

d) Inversement, analysez, en vous appuyant sur des arguments kantiens fondés sur l'impératif catégorique, en quoi des pratiques d'acharnement thérapeutique peuvent constituer des atteintes graves à la dignité des malades. 


Extrait 2 :

En second lieu, pour ce qui est du devoir nécessaire ou devoir strict envers les autres, celui qui a l'intention de faire à autrui une fausse promesse apercevra aussitôt qu'il veut se servir d'une autre homme simplement comme moyen, sans que ce dernier contienne en même temps la fin en lui-même. Car celui que je veux par cette promesse faire servir à mes desseins ne peut absolument pas adhérer à ma façon d'en user envers lui et contenir ainsi lui-même la fin de cette action. Cette violation du principe de l'humanité dans d'autres hommes tombe plus évidemment sous les yeux quand on tire les exemples d'atteintes portées à la liberté ou à la propriété d'autrui. Car là il apparaît clairement que celui qui viole les droits des hommes a l'intention de se servir de la personne des autres simplement comme d'un moyen, sans considérer que les autres, en qualités d'êtres raisonnables, doivent être toujours estimés en même temps comme des fins, c'est-à-dire uniquement comme des êtres qui doivent pouvoir contenir aussi en eux la fin de cette même action.

Ibidem.


Questions :

1. Comment le rapport des moyens et des fins s'articule-t-il, dans le cas de la fausse promesse ?

2. Pourquoi, dans cette situation, le créancier ne peut-il "contenir en lui-même la fin" ?

3. Pourquoi les créanciers prêtent-ils généralement leur argent à intérêt ?

a) Selon quelles modalités ces intérêts sont-ils généralement versés, et pour quelles raisons ?

b) Dans ce cas, l'emprunt d'argent peut-il toujours constituer ou non, en lui-même, un acte de nature morale ?

c) Si non, sur quel autre plan la relation entre débiteur et créancier à se constitue-t-elle alors ?

4. En quoi l'impératif catégorique, dans sa troisième formulation, permet-il de fonder la possibilité d'un respect moral de la propriété d'autrui ? Justifiez votre réponse.


Extrait 3 :

En troisième lieu, pour ce qui est du devoir contingent (méritoire) envers soi-même, ce n'est pas assez que l'action ne contredise pas l'humanité dans notre personne, comme fin en soi ; il faut encore qu'elle soit en accord avec elle. Or il y a dans l'humanité des dispositions à une perfection plus grande, qui font partie de la fin de la nature à l'égard de l'humanité dans le sujet que nous sommes ; négliger ces dispositions, cela pourrait bien à la rigueur être compatible avec la conservation de l'humanité comme fin en soi, mais non avec l'accomplissement de cette fin.

Ibidem.


Questions :

1. Qu'est-ce que le mérite ? Pour répondre, aidez-vous de la définition donnée dans la perle suivante.

2. En quoi le devoir de cultiver et de développer ses propres talents et dispositions est-il "méritoire", comme l'écrit Kant ?

3. Que signifie le fait que nos actions menées en ce sens doivent être "en accord" avec l'humanité dans notre personne ?

4. Comment l'existence en nous de "dispositions à une perfection plus grande" est-elle justifiée dans ce passage ?

5. Par quelle notion désigne-t-on le processus de développement des talents et des dispositions humaines ?

6. Que suppose par conséquent ce processus de développement, s'il est un processus, donc s'il nécessite une certaine durée ?

7. Selon vous, les qualités morales de l'être humain peuvent-elles faire elles-mêmes partie des talents et des dispositions qu'il est de notre devoir de développer ?

8. Dans quel ordre de réalité humaine l'idée d'un développement progressif de ces qualités inscrit-il dès lors la morale ?

9. Selon vous, cela réintroduit-il, relativement, à l'accomplissement des dispositions morales de l'homme, la dimension du provisoire ?


Extrait 4 :

En quatrième lieu, au sujet du devoir méritoire envers autrui, la fin naturelle qu'ont tous les hommes, c'est leur bonheur propre. Or, à coup sûr, l'humanité pourrait subsister, si personne ne contribuait en rien au bonheur d'autrui, tout en s'abstenant d'y porter atteinte de propos délibéré ; mais ce ne serait là cependant qu'un accord négatif, non positif, avec l'humanité comme fin en soi, si chacun ne tâchait pas aussi de favoriser, autant qu'il est en lui, les fins des autres. Car le sujet étant une fin en soi, il faut que ses fins, pour que cette représentation produise chez moi tout son effet, soient aussi, autant que possible, mes fins.

Ibidem.


Questions :

1. En quoi la bienveillance envers autrui doit-elle être définie comme un "devoir méritoire" ?

2. En quoi l'accord moral entre les hommes serait-il simplement "négatif" si tous ne recherchaient que leur propre bonheur individuel ?

3. "Favoriser les fins des autres" peut-il représenter une menace pour notre propre bonheur ?

4. Que signifie que les fins de tout sujet doivent aussi être mes fins ? Quelles difficultés cela pose-t-il?

5. Peut-on réellement imaginer une harmonie universelle des bonheurs individuels ?


Réflexion :

En vous appuyant sur vos analyses des extraits ci-dessus et sur l'ensemble de votre lecture du Fondement de la métaphysique des mœurs de Kant, vous traiterez au choix l'un des sujets de dissertation suivants :

  • La propriété est-elle un droit de l'homme ?
  • La morale a-t-elle une histoire ?
  • Faut-il apprendre à faire son devoir ?
  • Le bonheur d'autrui est-il en notre pouvoir ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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